Si on faisait la chronologie des principales avancées qui ont révolutionné la génétique bovine au fil des ans, il faudrait probablement citer la congélation du sperme dans les années ’50, la mise en place des ÉPD dans les années ’80 et l’arrivée de la génomique aujourd’hui. Cette science qui étudie l’ADN suscite toutefois des réactions diverses chez les éleveurs : certains ont choisi de l’ignorer; d’autres, au contraire, en ont de grandes attentes et ne jurent que par elle; quelques uns, enfin, y voient une menace à « l’art de l’élevage » en l’associant à tort aux OGM (organismes génétiquement modifiés) et à la production d’animaux conçus en laboratoire. En réalité, la génomique n’implique aucune manipulation génétique. Elle consiste essentiellement à lire sur les chromosomes d’un animal si des gènes jugés intéressants sont présents ou non de façon à faciliter la sélection des sujets reproducteurs.
Génétique 101
Dépendamment des caractères, on sait que l’environnement (alimentation, régie, etc.) est responsable de 50 à 90% des écarts observés entre les animaux. Il reste donc une part importante de 10 à 50% que l’on attribue à la génétique; c’est-à-dire qui est transmise via les gènes des parents à leur progéniture. Voyons comment … L’organisme des bovins se compose de milliards de cellules. Le noyau de chacune de ces cellules compte 60 chromosomes répartis en 30 paires. Chaque paire est constituée d’un chromosome venant du père et d’un chromosome venant de la mère. Les chromosomes sont le support des gènes; ils en contiennent des milliers. Les gènes sont des portions d’ADN qui dictent aux cellules comment se développer et qui permettent par le fait même l’expression des caractéristiques d’un individu (cornes, couleur, taille, musculature, etc.). L’ADN est une succession de quatre éléments de base – les nucléotides, symbolisés par les lettres A, C, G et T – qui forment un code précis et qui se présente sous la forme d’une double hélice enroulée (voir encadré). Le code génétique d’un bovin compte environ trois milliards de nucléotides. Il est fascinant de constater que 99.8% de cet ADN est identique chez les vaches et les taureaux d’une même race. Les différences génétiques entre les bovins sont donc causés par une variation de seulement 0.2% de leur ADN, ce qui correspond à six millions de nucléotides sur les quelque trois milliards. Lorsque des mutations se produisent dans la séquence des nucléotides de l’ADN d’un individu, des gènes s’en trouvent modifiés avec des conséquences possibles sur son apparence, ses performances ou sa santé. Ces séquences d’ADN qui changent selon les individus et qu’on peut identifier sont appelées « marqueurs génétiques ». Il existe plusieurs types de marqueurs. Le plus utilisé est le SNP (Single Nucleotide Polymorphism ou « snip ») qui consiste en une variation d’une seule paire de nucléotides dans une séquence d’ADN (voir illustration).
Le SNP (« snip ») est un type de marqueur génétique qui consiste en une variation d’une seule paire de lettres (ou nucléotides) dans une séquence d’ADN. Cette mutation pourra causer une différence plus ou moins marquée dans l’apparence ou la performance de ces deux vaches.
Du SNP à l’amélioration génétique
Le fait de découvrir des variations (SNP) dans le code génétique des bovins n’est d’aucune utilité pour le producteur de bœuf … à moins de pouvoir associer ces mutations à des écarts de performance pour des caractères précis. C’est ce que les chercheurs ont réussi à faire. Prenons par exemple le persillage. En comparant l’ADN d’un grand nombre de bovins très persillés à celui de bovins qui le sont peu ou pas – en utilisant les ultrasons et/ou leurs ÉPD – ils ont constaté que certaines différences dans les séquences de nucléotides entre les deux groupes pouvaient expliquer leurs écarts de persillage. Ces SNP deviennent alors des marqueurs génétiques pour le persillage. À partir de là, un simple échantillon de poil ou de sang pris sur un veau pourra déterminer s’il possède ces mutations favorables au caractère en question. Mais attention : la plupart des caractères sont contrôlés par de nombreux gènes (il y en aurait plus de 200 uniquement pour le persillage) qui ne sont pas tous localisés précisément à l’aide de marqueurs. C’est la raison pour laquelle un taureau aux ÉPD supérieurs pour le persillage peut en même temps afficher une évaluation génomique inférieure pour ce même caractère. Autrement dit, il ne possède peut-être pas les marqueurs déjà connus mais il peut posséder plusieurs gènes influents qui ne sont pas encore identifiés. La collecte de données via la participation des éleveurs aux différents programmes de performance demeurera donc très importante dans les années à venir si l’on souhaite découvrir de nouveaux marqueurs et mesurer leur impact sur l’expression de nombreux caractères.
Sur quoi se fier : les ÉPD ou la génomique ?
Parce qu’ils englobent à la fois l’information généalogique d’un sujet, ses propres performances ainsi que celles de sa progéniture, les ÉPD tiennent compte de TOUS les gènes responsables de la variation génétique entre les individus pour un caractère donné. Nous savons par exemple qu’un ÉPD de + 20 lb au sevrage signifie 20 lb de plus chez les veaux d’un taureau grâce à son potentiel génétique supérieur, même si nous n’avons aucune idée du nombre et de la localisation des gènes responsables de cet écart. Cet estimé est donc entièrement basé sur des observations phénotypiques (pesées de veaux au sevrage). À l’inverse, un test génomique nous permet de vérifier si un bovin possède CERTAINS marqueurs connus (SNP ou portion d’ADN) que l’on sait associés à une performance supérieure pour un caractère comme le poids au sevrage. Étant donné que de nombreux gènes demeurent inconnus, les tests génomiques nous fournissent donc un bilan génétique PARTIEL. Il est très important de ne pas l’oublier ! Pour éviter la confusion pouvant découler de la publication simultanée d’ÉPD et d’index génomiques pour les mêmes caractères, les généticiens recommandent aux associations de races d’intégrer ces derniers à leurs ÉPD respectifs dans le but d’en améliorer la fiabilité. C’est ce que fait déjà l’association Angus américaine depuis l’an dernier. Cette race a d’ailleurs une bonne longueur d’avance sur les autres dû au fait qu’elle a servi de population de référence pour la majeure partie de la recherche génomique effectuée jusqu’à maintenant dans le bovin de boucherie. Étant donné que les tests actuels développés à partir de la race Angus et misant sur une puce de 50,000 marqueurs (SNP) ne sont pas fiables pour prédire le mérite génétique lorsqu’ils sont utilisés dans les autres populations, les races Hereford, Limousin et Simmental ont récemment entrepris leurs propres programmes de recherche génomique dans le but de découvrir des marqueurs qui leur sont spécifiques. Des tests commerciaux sont maintenant disponibles dans ces races. À terme, l’idéal serait cependant que les races partagent leurs banques de données de façon à mettre au point un test génomique à très haute densité (700,000 SNP) qui pourrait fonctionner dans toutes les races ainsi que chez les bovins croisés.
Un avenir prometteur
La génomique permettra bientôt d’accélérer le progrès génétique en dévoilant plus tôt le potentiel d’un jeune sujet. Grâce à elle, la précision des ÉPD pour la croissance d’un taureau de 10 mois pourra par exemple se comparer à celle d’un taureau de 2 ans non génotypé ayant une dizaine de veaux contrôlés. Encore plus intéressant, cette technologie rendra également possible la mise au point d’ÉPD relatifs à des caractères difficiles à mesurer comme l’efficacité alimentaire, la tendreté de la viande, la qualité des pis, le tempérament; ou à des caractères dont l’héritabilité est faible comme la fertilité et la résistance aux maladies (ex. pneumonie). Bref, malgré qu’elle paraisse encore abstraite et futuriste, les éleveurs devraient se réjouir de l’arrivée de la génomique car elle contribuera à leur simplifier la vie.
Source : Réussir Bovins Viande, mai 2009
Par : Pierre Desranleau, T.P.Div
Division des bovins de boucherie
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