Derrière ce titre plutôt « macho » (!) se cache une réalité trop souvent oubliée : en élevage, le tau­reau c’est tout, ou presque. Ainsi, le fait que chacun des parents fournisse la moitié du matériel génétique lors de la conception d’un veau nous amène naturellement à assumer que le taureau et la vache contribuent de façon égale au progrès génétique d’un troupeau. Ce n’est pourtant pas le cas. En fait, les taureaux que vous avez utilisés depuis une dizaine d’années sont responsables de près de 90 % du progrès génétique réalisé dans votre élevage… ou, au contraire, de son recul si vos choix n’ont pas été les bons. L’impact à long terme de la sélection génétique chez vos femelles est donc marginal et s’explique par les raisons suivantes :

 

L’introduction continue de nouveaux taureaux dans le troupeau

De façon générale, les éleveurs recrutent leurs taureaux reproducteurs à l’extérieur de leur entreprise alors qu’ils sélectionnent leurs femelles de remplacement parmi les génisses nées à la ferme. Quand on y réfléchit bien, cette situation ne peut faire autrement que de diluer de façon très importante l’influence de la vache sur la composition génétique du veau au profit de celle du taureau. Pour vous en convaincre, prenez n’importe quel veau de votre élevage et regardez attentivement sa généalogie. Vous y découvrirez qu’exactement 87,5 % de son bagage génétique origine des trois derniers taureaux que vous avez probablement achetés de quelqu’un d’autre ou utilisés par insémination artificielle. En d’autres mots, phénomène intéres­sant, vous serez à même de constater qu’à la troisième génération, un seul ascendant sur huit – le fameux 12,5 % représentant la contribution des femelles de votre élevage à la génétique du veau – porte votre préfixe de ferme et ce, même si vous n’avez jamais acheté de femelles à l’extérieur! Tout ceci peut sembler bien abstrait au départ mais l’exemple réel  suivant (voir photo) permettra de visualiser le phénomène. Il s’agit de « FSMB Miss 1R », une génisse Simmental de race pure née le 4 janvier 2005 et dont la généalogie se lit comme suit :

 

 

 

Ainsi donc, si nous voulons estimer la réelle influence des femelles du troupeau « FSMB » dans la composition génétique de « Miss 1R », nous devons au préalable faire abstraction de tout ce qui se rapporte à son père (Minnesota), de même qu’à son grand-père et à son arrière-grand-père maternels (Regent et Mr Universe) qui sont tous trois des taureaux venus de l’extérieur et utili­sés par insémination artificielle (notons en passant que le principe s’appliquerait bien évidem­ment de la même façon s’il s’agissait d’un élevage commercial ne misant que sur la saillie natu­relle). Alors, une fois ce travail effectué, que reste-t-il de l’influence du troupeau d’origine sur notre génisse? Eh bien, très peu. En fait, il faut descendre tout en bas de la généalogie, à la dernière ligne, pour y retrouver « FSMB Miss Bottomline 13F », l’arrière-grand-mère maternelle.

 

                                                                         

 

Tout cela démontre une chose : vous aurez beau débuter en élevage avec les meilleures vaches au monde, c’est encore votre travail de sélection de taureaux qui en déterminera la réussite ou l’échec puisque dès la troisième génération, l’influence de ces « super vaches » ne sera plus que de 12,5 % dans le bagage génétique de vos veaux. Est-ce à dire que la mise en place de critères de sélection intra-troupeau pour vos femelles est inutile? Certainement pas! Car d’un point de vue économique, il demeure essentiel que vous éliminiez les piètres produc­trices ainsi que celles qui ont des problèmes de fertilité ou de conformation. Ce travail de sélec­tion n’a cependant que peu d’effets à long terme sur le niveau génétique du troupeau.

 

L’intensité de sélection

Tel que mentionné dans le paragraphe précédent, la sélection chez les femelles se fait surtout en éliminant celles qui présentent des lacunes évidentes. Chez les mâles, c’est une toute autre histoire puisque seuls les individus supérieurs obtiennent le privilège de se reproduire. Éliminer les moins bonnes vaches et conserver les meilleurs taureaux… vous vous dites peut-être que ça revient au même, mais c’est très différent! Prenons l’exemple d’un troupeau de 100 vaches avec un taux de sevrage de 80 %. La récolte de veaux annuelle sera donc en moyenne de 40 génisses et de 40 mâles. En utilisant un taux de réforme de 15-20 %, l’éleveur devra donc faire entrer en production de 15 à 20 taures par année. Pour y arriver, il n’aura d’autre choix que de conserver pour l’élevage la moitié des génisses disponibles. Passons maintenant au côté mâle. Nous savons qu’un troupeau de 100 vaches requiert les services de 3 à 4 taureaux reproducteurs. Si l’on émet l’hypothèse que notre éleveur n’utilise pas l’insémination artificielle et qu’il recrute ses géniteurs à même son élevage, il devra en sélectionner un nouveau en moyenne chaque année parmi la quarantaine de veaux mâles qui naissent dans son entreprise. On voit donc que l’intensité de sélection est beaucoup plus forte chez les mâles (1 sur 40 ou meilleur 2,5 %) que chez les femelles (20 sur 40 ou meilleur 50 %). Malgré cela – et ça ajoute au phénomène – la majorité des éleveurs choisissent d’acheter leur(s) nouveau(x) taureau(x), ce qui signifie qu’ils considèrent pouvoir en trouver de meilleurs que ceux qu’ils sont en mesure d’élever eux-mêmes.

 

Le pouvoir de diffusion des gènes

Une vache exceptionnelle produira une dizaine de veaux au cours de sa vie, peut-être le double si on lui fait produire des embryons. En comparaison, un taureau d’étable pourra en engendrer une centaine – soit dix fois plus – en seulement trois ou quatre ans alors qu’un taureau offert en insémination artificielle pourra en faire naître un nombre illimité. Le taureau est donc beaucoup plus efficace que la vache pour propager du matériel génétique.

 

 

À vous de jouer!

Le but de cet article était de mettre en relation la place occupée par le taureau et la vache sur le plan de l’amélioration génétique. Chaque nouvelle saison de reproduction vous amène à revoir votre stratégie d’accouplement et à prendre des décisions. La première option qui s’offre à vous est bien sûr la saillie naturelle offrant une grande facilité d’utilisation. Votre principal défi sera alors de dénicher la perle rare qui vous permettra de faire progresser le niveau génétique de votre troupeau. L’autre possibilité est de faire une place à l’insémination artificielle dans votre programme. Cette alternative exige toutefois un suivi du troupeau plus rigoureux durant quelques semaines chaque printemps. En contrepartie, vous aurez l’agréable impression d’avoir dans votre cour une batterie de taureaux de haut calibre que vous n’avez même pas à nourrir! Bonne réflexion…

 

Par : Pierre Desranleau, T.P. Ciaq