En tant qu’éleveur vache-veau, vous avez probablement déjà noté que pour un groupe de veaux provenant d’un même père, des écarts considérables pouvaient être mesurés en comparant leur poids au sevrage. Cette observation de votre part est d’ailleurs confirmée par les généticiens qui ont établi une corrélation positive entre la production laitière de la mère et le poids au sevrage du veau. Cependant, parce que le lait des vaches de boucherie n’est pas pesé et parce que l’héritabilité de ce caractère est plutôt faible, plusieurs se posent la question : est-ce que l’ÉPD d’un taureau pour l’aptitude laitière est un bon indicateur de la production future de ses filles ?

 

 

Avant de répondre à cette question, établissons d’abord ce qu’est un ÉPD et voyons de quelle façon on s’y prend pour calculer l’épreuve en lait d’un taureau de boucherie. L’ÉPD ou Écart Prévu chez la Descendance (pour le lait) est en quelque sorte une évaluation de l’aptitude des filles d’un taureau à contribuer à la croissance de leurs veaux en fonction de leur production laitière. Cette mesure sera donc exprimée en unités de gain de poids chez le veau. Pour les taureaux laitiers, on compare les quantités de lait produites par leurs filles respectives tandis que chez les taureaux de boucherie, on compare les poids au sevrage des veaux de leurs filles.

 

 

Bien sûr, si l’on veut éviter les biais possibles et évaluer précisément la part de l’aptitude laitière dans la performance des veaux au sevrage, nous devons d’abord connaître le potentiel génétique de chacun des parents pour la croissance (voir tableau 1).

 

Tableau 1 : Facteurs génétiques influençant la croissance d’un veau avant le sevrage

Pour visualiser le tout de façon plus concrète, prenons l’exemple suivant :
Vache A : ÉPD poids au sevrage = +10 lb                      Vache B : ÉPD poids au sevrage = +10 lb

Si ces deux vaches au potentiel identique pour la croissance sont accouplées au même taureau, dans un même environnement, et que le veau de la vache A pèse 15 lb de plus au sevrage que celui de la vache B, qu’allons-nous conclure ? Étant donné que nos deux veaux ont le même père et que leurs mères ont les mêmes ÉPD pour le poids au sevrage, nous allons estimer que cette différence de poids s’explique par une plus forte production laitière de la vache A. Dans un tel cas, le père de la vache A obtiendrait un ÉPD pour l’aptitude laitière plus élevé que celui de la vache B. Il s’agit tout simplement d’un jeu de comparaisons.

 

 

Dans le but de vérifier si la théorie concordait avec la réalité, une équipe de chercheurs de l’Université de la Virginie aux États-Unis a tenté, il y a une dizaine d’années, une expérience assez unique. Pour ce faire, on a trait mécaniquement et pesé le lait de 87 vaches Angus dont les ÉPD pour l’aptitude laitière variaient entre +0,4 et +23,4 lb. Leurs veaux dont l’âge moyen était de 119 jours (4 mois) avaient préalablement été séparés de leur mère pour une période de 12 heures. La quantité moyenne de lait produite en 24 heures à ce stade de lactation fut évalué à 19,8 lb par vache. Tel que prévu, les vaches adultes ont produit plus de lait (20,1 lb par jour) que les taures à leur premier veau (17,1 lb par jour). Par la suite, on a séparé les vaches en trois groupes selon leur ÉPD pour l’aptitude laitière. Le groupe avec les plus hauts ÉPD, 10 lb et plus, a produit plus de lait (22,6 lb) que celui ayant des ÉPD entre 5 et 10 lb (21,6 lb) et que celui dont les ÉPD se situaient à moins de 5 lb (20,8 lb).

 

 

À première vue, une différence de 1,8 lb de lait par jour entre le groupe le plus fort et le groupe le plus faible (22,6 lb – 20,8 lb) peut sembler négligeable. Cependant, une différence de 1,8 lb de lait par jour pendant 205 jours signifie 369 lb de lait supplémentaire pour le veau. Et comme d’autres expériences ont déjà démontré que pour chaque 15,4 lb de lait on obtient une livre additionnelle de veau au sevrage, le groupe ayant les plus hauts ÉPD à ce niveau aurait donc dû sevrer des veaux plus lourds de 24 lb comparativement au groupe de vaches ayant les ÉPD les plus faibles (369 lb/15,4 lb). En fait, c’est à peu près ce qui a été observé dans la réalité puisqu’après avoir ajusté les poids des veaux pour l’âge des mères et l’effet des pères, on a obtenu une différence de 27 lb par veau en faveur du groupe de vaches ayant les plus hauts ÉPD pour l’aptitude laitière (548 lb contre 521 lb). Ces résultats viennent donc appuyer l’hypothèse qui veut que des sujets ayant des ÉPD élevés pour l’aptitude laitière produisent effectivement plus de lait que leurs contemporains.

 

 

Cependant, cette même étude a aussi permis de constater qu’il existe des cas individuels où la théorie ne concorde pas nécessairement avec la réalité. Par exemple, la taure affichant le plus haut ÉPD pour le lait dans cette expérience en produisit 3 lb/jour de moins que la moyenne des taures du troupeau. En contrepartie, celle qui montrait le plus faible ÉPD pour ce caractère fut la meilleure laitière parmi les taures avec une production de 26 lb par jour. Ce genre d’exceptions à la règle explique en partie pourquoi plusieurs éleveurs demeurent sceptiques face à l’utilisation des ÉPD. Agissant ainsi, ils se privent d’un outil de premier plan pour améliorer le potentiel génétique de leurs troupeaux.

 

 

Trop c’est comme pas assez…

 

Chercher à avoir toujours plus de lait en n’utilisant que des taureaux aux ÉPD fortement amélio­rateurs pour ce caractère est une stratégie qui produira, à moyen terme, des effets pervers qui auront comme conséquence d’augmenter vos coûts de production. En effet, l’accroissement du potentiel laitier au-delà d’une limite raisonnable entraînera immanquablement une hausse des frais d’entretien (alimentation), une baisse de la fertilité (intervalle de vêlage plus long), ainsi qu’une pression additionnelle sur les pis (attaches, ligaments, profondeur) réduisant la longévité des vaches dans le troupeau. Ainsi, une production laitière optimale – plutôt que maximale – sera celle qui permettra au veau d’exprimer son plein potentiel génétique pour la croissance sans pour autant engendrer les impacts négatifs décrits plus haut.

 

 

L’ÉPD pour la « Contribution maternelle totale » ou « Total maternal »

 

Une vache ne fait pas que produire du lait pour son veau, elle lui transmet aussi un potentiel génétique pour le gain (voir tableau 1). Et parce qu’il tient compte de ces deux éléments, l’ÉPD pour la contribution maternelle totale est un meilleur indicateur de productivité que le seul ÉPD pour le lait. Pour l’obtenir, il suffit d’additionner l’ÉPD pour le lait du taureau à la moitié de son ÉPD pour le poids au sevrage. Par exemple, considérons les deux taureaux suivants :

 

Ainsi, les filles du taureau A, bien que moins laitières, seront susceptibles de sevrer des veaux aussi lourds au sevrage que ceux des filles du taureau B parce qu’elles leur auront transmis un plus fort bagage génétique pour la croissance, hérité du taureau A (Nous assumons bien sûr que les pères de ces veaux ont des ÉPD semblables pour le poids au sevrage et que les mères de ces vaches possèdent des ÉPD équivalents pour l’aptitude laitière).

 

 

Trouver le juste équilibre

 

Jusqu’où devrait-on « pousser » le côté laitier de nos bovins de boucherie ? La meilleure façon de répondre à cette question est probablement de faire la distinction entre productivité et profit. La vache de boucherie rentable est le plus souvent décrite comme étant celle capable de produire le maximum de poids de veau sevré avec le minimum d’intrants. Les femelles répondant à cette description sont généralement de taille modérée, faciles à garder en bonne condition de chair, bonnes laitières et capables de sevrer un veau représentant 50 % de leur poids. Si vous produisez de gros veaux mais que vos vaches doivent être supplémentées pour maintenir une condition de chair adéquate et être en mesure de maintenir un intervalle de vêlage de 12 mois, peut-être produisent-elles trop de lait. Si tel est le cas, il y a fort à parier que le revenu supplémentaire provenant de la vente de veaux plus pesants soit en bonne partie annulé par des coûts de production plus élevés. Dans cette situation, il ne faut pas hésiter à réévaluer votre programme d’élevage et à utiliser des taureaux mieux adaptés à votre environnement, ce qui pourrait signifier de ne pas ignorer systématiquement ceux dont l’ÉPD pour l’aptitude laitière est inférieur à la moyenne, surtout lorsqu’il s’agit de races qui excellent déjà à ce niveau.

 

 

Figure 1 :    Une vache rentable devrait être capable de sevrer un veau de 50 % son poids tout en maintenant une condition de chair adéquate.

 

 

Par : Pierre Desranleau, T.P.
Division des bovins de boucherie
Ciaq